Ian Stone - Du baroque pendant des jours...
IAN STONE
EXPOSITION SOLO
3 MARS 2022 - 9 AVRIL 2022
Galerie Youn
384 Rue Saint-Paul Ouest
Montréal, QC, H2Y 2A6 Canada (carte)
Du baroque pendant des jours, mon cher
« Alors… est-il efféminé ? » C’est la première question que ma mère m’a posée quand je lui ai dit que je fréquentais un nouvel homme. C’était très factuel, envoyé de la même manière que vous demanderiez à quelqu’un s’il porte des lunettes ou a les cheveux bruns. Il n’y avait aucun dédain dans sa voix. C’est simplement ce que vous demandez quand votre fils est gai. Mon enfant intérieur a immédiatement voulu répondre par un non catégorique, mais je ne l’ai pas fait. Au lieu de cela, j’ai souri, et je lui ai demandé si elle avait déjà demandé à mon frère si sa petite amie était hommasse ou virile. Elle a ri, et répondu avec un « non ! » affirmé, presque ridicule. Elle ne comprenait pas pourquoi je posais une question aussi absurde et elle s’impatientait. Après avoir répondu à ma question, elle attendait que je réponde à la sienne : « Alors… est-il efféminé ? »
Mes œuvres récentes explorent les représentations culturelles et artistiques du genre à travers la subjectivité des hommes homosexuels. En tant que portraitiste, je me suis dit qu’il n’y avait pas de meilleur endroit pour commencer que les médias sociaux et la peinture d’égoportraits d’hommes gais. J’ai été fasciné par la façon dont les hommes gais choisissent de se représenter à un public plus large. La plupart du temps, ils sont torse nu ou entièrement nus, leurs corps musclés. Les hommes au physique « moyen » ou efféminé sont rares. Ils se présentent comme des sportifs virils qui serrent les dents et poussent la mâchoire vers l’avant pour tenter d’avoir l’air aussi « masculin » que possible. Ils sont l’incarnation esthétique des mâles hétéros. Ce sont les mêmes hommes qui ont involontairement passé toute leur vie de jeunes adultes à supprimer leurs prédilections féminines. Être « efféminé » menaçait leur sûreté même. Leur manque de masculinité traditionnelle pourrait être la raison pour laquelle ils ont été malmenés et ostracisés. Ce sont leurs poignets mous, leurs obsessions pour les poupées Barbie, les déguisements ou leur fascination pour les icônes féminines qui pouvaient les « démasquer ». Ainsi, ils ont appris très rapidement à agir comme les autres garçons autour d’eux, à supprimer tout intérêt pour les pratiques non hétéronormatives et à apprendre à détester tous les aspects féminins d’eux-mêmes, précisément parce qu’il est dangereux de les mettre en pratique.
« Nous avons dû être doués pour nous déguiser, pour paraître comme les autres, comme tout le monde. Parce que nous avons dû cacher ce que nous ressentions vraiment (notre homosexualité) pendant une grande partie du temps, nous avons dû maîtriser la façade de n’importe quelle structure sociale dans laquelle nous nous trouvions, nous ne pouvions pas nous permettre de nous distinguer de quelque manière que ce soit, car cela aurait pu révéler notre homosexualité. Nous avons donc développé un œil et une oreille pour les surfaces, les apparences, les formes : le style. » (Dyer)
Mon intérêt s’est alors orienté vers cette idée de style et de « sensibilité queer ». Des années avant qu’un enfant n’atteigne la maturité sexuelle, on peut facilement repérer les petits garçons qui gravitent autour de certaines formes de « sensibilité queer » : écouter Céline Dion en boucle, ranger, classer et nettoyer leur chambre ou encore s’intéresser à la mode féminine et même porter des talons hauts. Cela n’a rien à voir avec l’attirance sexuelle, mais tout à voir avec l’idée que la culture queer est effectivement une culture de l’esthétique, du design et de la beauté. Il n’est pas surprenant que les espaces et les intérieurs des hommes gais aient tendance à être extravagants ou excessifs. En raison de la suppression de toutes les qualités féminines pendant l’enfance et du port imposé par la société d’un travesti hétéro, les hommes gais créent des espaces sûrs parés d’objets, de glamour et de kitsch. Des sortes de tableaux qui expriment leur identité féminine dans la sécurité et l’intimité de leur propre foyer.
Cette idée que les hommes gais, leurs objets et leurs espaces sont historiquement porteurs d’une « sensibilité queer » est précisément ce que je m’efforce de peindre et de représenter. Je pense aussi que je suis naturellement attiré par les techniques baroques à haut rendu en raison d’une fascination inévitable pour la beauté et la forme. Des représentations romantiques et littérales de poignets mous, je peins des mains masculines qui expriment la tendresse, l’affection et la passion. Je m’efforce de brouiller les limites de la conformité non sexiste et de créer des images qui célèbrent les représentations féminines des hommes et de leurs objets.
Nous sommes au bord du précipice du changement, avec la fluidité des genres et l’acceptation des personnes non binaires. Pourquoi certains traits, tendances ou objets sont-ils socialement codés comme non virils ou efféminés ? Comment les concepts traditionnels de la masculinité affectent-ils les sensibilités queers comme la beauté, le glamour et le kitsch ? Comment ces concepts contribuent-ils à l’homophobie, aux stéréotypes et à la dévalorisation de ces sensibilités ?
Pour en revenir à la question de ma mère : comment une femme peut avoir de tels préjugés et poser une telle question me laisse perplexe, de la même manière que certains des hommes les plus homophobes que j’ai rencontrés étaient des hommes gais. Nous craignons en nous-mêmes ce que nous détestons le plus chez les autres et nous avons été historiquement programmés pour mépriser les femmes et leurs attributs. La peur que ma mère éprouve à l’égard de la nature efféminée de mon ami est, d’une certaine manière, une peur protectrice, la même que celle que j’éprouvais, enfant, à l’idée d’être découvert, d’être manifestement gai aux yeux des autres, d’être en danger. En fin de compte, la lutte active et continue pour les droits des femmes et l’acceptation des qualités féminines est l’équation qui rachète l’acceptation de la « culture queer ».
À PROPOS D’IAN STONE
Je me souviens d’avoir, enfant, été attiré par certains objets : des choses belles, stylées, kitsch. J’ai passé une bonne partie de mon enfance dans la maison de mes grands-parents, qui était remplie de bric-à-brac poussiéreux et d’antiquités victoriennes élégantes. Je pas- sais des heures seul avec ces objets d’un autre monde, développant une sensibilité pour le kitsch décoratif.
Je faisais courir mon doigt le long d’une paire de chevaux en bronze ou d’abat-jour en satin et je regardais la poussière se soulever, puis se déposer sur une figurine de ballerine en porcelaine en dessous. Je disposais et redisposais une collection de fruits en plastique dans un bol en osier, découvrant des configurations infinies. Mon fantasme ultime était d’imaginer comment j’allais exposer cette collection d’objets (apparemment) inestimables dans ma future maison. Je possède maintenant ces objets, et je leur ai trouvé une place dans ma peinture.
Ian Stone a développé son intérêt et son exploration de la peinture après avoir obtenu un baccalauréat en gravure d’art à l’Université NSCAD à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Avec un intérêt marqué pour l’autoportrait et les politiques identitaires, il a transféré l’aspect technique de la superposition et de l’im- pression à un réalisme figuratif. Il a poursuivi ses études à l’Université Concordia, avec une maîtrise en peinture et en dessin. Ses œuvres font partie de nombreuses collections privées et publiques, y compris celles du musée de l’Université d’État de la Floride et du palais national de la culture de Sofia, en Bulgarie.